Pierrot Dupuy analyse les conséquences de la liquidation du Journal de l’Île de La Réunion
Ecrit par Pierrot Dupuy – le jeudi 01 août 2024 à 18H19
La nouvelle de la liquidation du JIR est tombée hier soir au moment où je m’apprêtais à enregistrer mon podcast quotidien. Impossible d’aborder le sujet le soir même et je vous avais promis de traiter le sujet aujourd’hui.
Je sais que Jacques Tillier avait beaucoup d’ennemis et nombreux sont ceux qui ont dû se réjouir hier soir en apprenant la nouvelle. Certains ont même probablement dû boire du Champagne.
Je n’en fais pas partie pour deux raisons. Tout d’abord, on ne peut pas se réjouir de la fermeture d’un journal. Il n’y en a que deux en version papier à La Réunion et en fermer un, c’est diviser par deux la pluralité et la liberté de s’exprimer à La Réunion. Les monopoles vont rarement de pair avec la liberté.
Je mettrai toutefois un bémol. Pour ce que j’en sais, plusieurs repreneurs s’apprêtent à faire des offres sur tout ou partie des sociétés du groupe JIR. Le journal du Chaudron devrait donc prochainement renaître et ce problème de pluralité serait réglé.
La deuxième raison est que je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée émue pour les 85 salariés de l’entreprise et leurs familles. La liquidation de leur outil de travail, ce sont des fins de mois qui s’annoncent difficiles, un avenir incertain… Certains employés sont là depuis très longtemps et on sait que passé un certain âge, il est difficile de retrouver du travail.
Cela étant dit, et en essayant de rester objectif, essayons de poser sereinement les données sur la table et de regarder si une autre solution était possible.
Il a été dit à la barre du tribunal de commerce hier que le JIR avait créé un nouveau passif en environ deux ans, depuis sa précédente dissolution, de 9,3 millions d’euros. Et je ne parle pas des passifs des précédentes liquidations. Si on additionne tout, on ne doit pas être loin des 25 millions d’euros.
Je sais bien que les chiffres n’ont aujourd’hui plus beaucoup de sens et que, dépassé 100€, on a du mal à avoir conscience de la valeur des choses. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de sommes considérables.
Jacques Tillier dit que ce serait dû au refus de la Région de diffuser ses publicités dans le JIR, comme elle le fait pour le reste de la presse. J’entends l’argument, mais je ne pense pas qu’il puisse expliquer à lui seul des pertes de 4 millions par an. Ou alors les tarifs du JIR ne sont pas ceux que je connais.
L’ancien PDG du JIR (puisque c’est comme ça qu’il faut bien l’appeler aujourd’hui) rejette également la responsabilité sur son imprimeur qui refuse d’imprimer son journal. Sans vouloir rentrer dans les responsabilités de chacun, Alfred Chane Pane étant un ami et on pourrait me reprocher de ne pas être objectif, force est malgré tout de constater que ce conflit est très récent, quelques mois, et que le préjudice occasionné est une goutte d’eau dans l’océan des dettes du journal.
Et je n’oublie pas en plus le fait que ces pertes soient enregistrées malgré un apport massif de subventions en provenance essentiellement des collectivités publiques locales, et notamment de la Région, sous la mandature de Didier Robert.De plusieurs millions d’euros.
D’où vient alors le problème ? Là aussi, sans chercher à rejeter la responsabilité sur l’un ou l’autre, car je n’étais pas présent lors des discussions et ne peux donc m’engager en faveur d’aucune des deux parties, on est bien malgré tout obligé de constater que le mal dont souffraient le JIR et Le Quotidien est bien plus ancien et plus profond.
La Réunion est un des très rares départements de France à avoir deux quotidiens. Le tout sur un tout petit territoire, avec en plus un marché publicitaire boudé par les grandes marques nationales et internationales.
Dans le même temps, les dépenses sont plus importantes ici qu’en métropole. Rien que pour le papier par exemple, le surcoût dû au transport et aux taxes se chiffre en dizaines de milliers d’euros.
Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’équilibre économique était difficile à trouver ici, d’autant plus que la presse réunionnaise ne bénéficie d’aucune des subventions dont profitent les titres métropolitains.
Dans ces conditions, que faire ? La seule solution, et qui est préconisée depuis des années par les ministres successifs et par Bercy en particulier, passait par une mutualisation des moyens. Au niveau de l’imprimerie, de la distribution des journaux, voire au niveau des services généraux et publicitaires.
Il est par exemple complètement aberrant que tous les matins, à peu près aux mêmes heures, des camionnettes les unes aux couleurs du JIR et les autres du Quotidien, partent du même endroit pour aller alimenter les mêmes distributeurs, aux quatre coins de l’ile. L’économie pourrait être substantielle.
Je sais que Jacques Tillier et Carole Chane Ki Chune se sont rencontrés des dizaines de fois ces dernières années pour négocier cette mutualisation. Sans résultat. Même si on a plusieurs fois frôlé un accord. Chacun attendait en fait que l’autre meure le premier pour le racheter et réaliser enfin la mutualisation salvatrice.
Résultat des courses, ils sont morts tous les deux. Le Quotidien a été racheté il y a quelques mois par Jean-Jacques Dijoux. Le JIR devrait l’être prochainement, également.
Je ne formulerai qu’un seul souhait : que les deux journaux vivent et qu’ils se remettent à réembaucher.
Et vive la liberté de la presse et le pluralisme.
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