Dans un renversement total des valeurs et des idéaux, des jeunes, des ouvriers, des diplômés, des femmes et des hommes ont décidé que l’espoir, aujourd’hui en France, réside dans un parti prônant la préférence nationale entre les citoyens, avec un programme qui représente un véritable risque de catastrophe économique, soutenu par des personnalités qui n’ont jamais gouverné un pays, prêtes à démanteler l’appareil d’État et les institutions démocratiques fondamentales.
Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les propos de Marine Le Pen et de Jordan Bardella selon lesquels il serait nécessaire de passer par-dessus (comment ?) le Conseil constitutionnel s’il continuait à s’opposer à la préférence nationale et à la fin du droit du sol. Et également changer radicalement nos relations avec l’Europe. Ayant compris que les Français étaient très attachés à l’Europe et devant l’échec retentissant du Brexit, ils ne parlent plus de la quitter. Mais ils vont la saper de l’intérieur, petits bouts par petits bouts, à l’image de ce que fait déjà un Viktor Orban, grand ami et allié de Marine Le Pen. Le résultat serait une Europe affaiblie, bloquée, qui soutiendrait en douce Poutine sans vraiment le dire, et qui contraindrait l’Ukraine à négocier et à abandonner aux Russes les pans entiers de son territoire que ce dernier occupe déjà.
Posez-vous maintenant la question, dans ce contexte, combien de temps l’Allemagne et les pays scandinaves accepteront de continuer à payer pour colmater nos déficits et à se porter garant pour nous sur les marchés internationaux ? A terme, c’est la mort de l’Europe qui est programmée.
De tout cela, nos concitoyens en sont plus ou moins conscients. Pour le moment, ils préfèrent faire mine de ne pas le voir ou le savoir. Ils sont animés par une volonté beaucoup plus forte, qui surpasse tout, celle de vouloir tout changer, ce qu’on appelle le « dégagisme », cette volonté acharnée d’essayer autre chose, de donner sa chance au seul parti qui ne s’est jamais compromis au pouvoir. Mais surtout de balayer ceux qu’ils considèrent comme les élites, ceux qui selon eux qui ont mal géré la France.
C’est Sylvain Tesson qui disait : « La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ».
Rien n’a pu arrêter ce rouleau compresseur. Les diverses voix qui s’élèvent, en France et à l’étranger, ne sont plus audibles. Elles parlent dans le désert. On ne les entend plus. On ne les écoute plus.
Après ce qui s’est passé hier en France, qui osera encore pointer du doigt les Américains jugés irresponsables pour avoir élu Trump à la présidence ? La France serait le premier pays en Europe, si les Français confirmaient dimanche prochain leur vote d’hier, où l’extrême droite serait arrivée au pouvoir sans avoir eu besoin de constituer une coalition avec d’autres partis, et donc sans avoir besoin d’édulcorer son programme.
Mais beaucoup plus grave, ce serait la seule puissance nucléaire dirigée par l’extrême droite. Flippant, non ?
Tout n’est cependant pas perdu. Il est encore temps de se ressaisir, le pire n’est pas encore inéluctable. Depuis hier soir, on assiste à une volonté de constituer une sorte de Nouveau Front Républicain. On comprend l’ambition du président Macron : isoler ceux qu’il considère comme extrémistes, c’est-à-dire le LFI et le RN, et tenter de constituer un bloc central autour de la frange la plus modérée des Insoumis, à l’image d’un François Ruffin et de ses amis, des Socialistes, des Verts, des Républicains qui n’ont pas suivi Eric Ciotti et de ce qui reste de l’ancienne majorité présidentielle.
Ce souhait, s’il est honorable, n’a cependant aucune chance de voir le jour entre les deux tours. On voit mal les Socialistes et les Verts abandonner le Front populaire qu’ils ont signé il y a quinze jours. Au mieux, un tel scénario ne pourrait se concrétiser qu’après le deuxième tour, une fois les rapports de force bien établis. Si d’aventure Jean-Luc Mélenchon, comme tout semble le confirmer, s’obstinait à vouloir se faire désigner Premier ministre, on pourrait alors peut-être assister à l’explosion du Nouveau Front populaire.
Mais même cette hypothèse de politique fiction, je l’avoue, risque de ne pas être suffisante pour sauver la France.
Lundi prochain, trois scénarios sont possibles. Dans le premier, le Rassemblement national remporterait une majorité absolue des députés, soit plus de 289 parlementaires. C’est à mon sens la pire des hypothèses. Ce serait une porte ouverte sur l’inconnu et probablement le chaos, économique mais aussi social. Jean-Luc Mélenchon et la CGT voudraient contester dans la rue le résultat des urnes, la France serait paralysée par des grèves à répétition, accompagnées de manifestations de plus en plus violentes. Notre déficit exploserait, nous aurions de plus en plus de mal à emprunter sur les marchés internationaux pour financer notre dette, celle-là même qui sert à payer les fonctionnaires, les aides sociales, etc… On peut toujours vivre à crédit. A condition de trouver des banques qui acceptent de continuer à vous prêter de l’argent. Mais si les taux d’intérêt deviennent de plus en plus chers, si l’inflation augmente, si vous devez emprunter toujours plus, il arrive un moment où les banques disent « stop ». Et là, c’est la faillite. A l’image de ce qui s’est déjà passé en Grèce ou en Argentine. Avec à la clé des restrictions budgétaires et la remise en cause de pans entiers d’avantages que nous pensons acquis, dans des proportions que nous ne pouvons même pas imaginer. Demandez aux Grecs ce qu’ils en pensent.
Ce scénario peut connaitre une déclinaison. Le RN renonce à appliquer l’intégralité de son programme, se pose une nouvelle fois en victime des « élites », de la cohabitation, du président de la République, j’en passe et des meilleures. Cette posture lui permet d’arriver cahin-caha jusqu’aux prochaines présidentielles sans perdre trop de plumes, suffisamment en tout cas pour faire élire Marine Le Pen. Et là, je vous laisse imaginer la suite avec un retour au scénario 1.
La deuxième hypothèse serait une France ingouvernable, divisée en trois blocs, d’importances relativement égales : le Rassemblement national, le Nouveau Front Populaire, et ce qui reste de l’ancienne majorité présidentielle. A moins que ce ne soit le Rassemblement National, un Nouveau Front Républicain qui regrouperait les dissidents de LFI, les Socialistes, les Verts, et les Macronistes. Aucun d’entre eux ne serait assez gros pour gouverner seul mais tous avec des incompatibilités qui leur interdiraient toute alliance. Le Parlement serait bloqué, paralysé. Aucune loi ne pourrait être votée. La Constitution interdisant au Président de la République de dissoudre une nouvelle fois dans le délai d’un an, chaque gouvernement qui serait nommé tomberait au bout de quelques semaines sous l’effet de motions de censure à répétition. Ce qui n’interdirait pas, en parallèle, les manifestations violentes dans les rues.
La dernière, vers laquelle on semble s’orienter, serait un Rassemblement national approchant la majorité absolue mais ne l’atteignant pas. On pourrait alors croire être dans le scénario n°2. Sauf qu’on verrait alors Jordan Bardella et Marine Le Pen faire la tournée de tous les députés Les Républicains tendance Gérard Larcher et leur promettre qui une présidence de commission, qui un poste prestigieux et très rémunérateur, qui quelques avantages en nature, pour obtenir leur ralliement. Il suffirait qu’une dizaine de députés trahisse pour qu’on se retrouve dans le scénario n°1.
Reste que le discrédit qui frappe désormais une bonne partie de la classe politique a maintenant un visage, celui d’Emmanuel Macron. Un président qui avait été élu pour faire barrage à l’extrême droite et qui lui a offert un tremplin. Gouverner, ce n’est pas seulement avoir de bonnes idées, savoir communiquer, être capable de faire de beaux discours et retourner quelques dizaines de Gilets jaunes ou d’agriculteurs à coups de « grands débats nationaux ». C’est aussi et surtout être à l’écoute des Français, anticiper, savoir tempérer parfois, pour mieux revenir à la charge demain. Tout ce que n’a pas su faire Emmanuel Macron.
Il y a fort à parier que demain, quel que soit le scénario dans lequel nous serons, la seule façon de s’en sortir sera une démission du président de la République. Et le pire, c’est que ce sont ses propres amis, ceux qui estiment avoir été trahis et injustement sanctionnés par la dissolution, qui risquent d’être ceux qui la réclameront le plus fort.
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