« Actes contre nature » ou « outrage public à la pudeur »: jusqu’en 1982, des milliers de personnes, en grande majorité des hommes, ont été condamnées en France, une forme « d’homophobie d’Etat » abrogée il y a 40 ans et dont certaines victimes attendent aujourd’hui d’être « réhabilitées ».
Le 27 juillet 1982, l’Assemblée nationale abrogeait une loi remontant au régime de Vichy, qui pénalisait les « actes contre nature » avec des mineurs.
Un an et demi plus tôt, en décembre 1980, les députés avaient annulé un amendement de 1960 qui considérait l’homosexualité comme un « fléau social » et alourdissait, pour les gays, les peines encourues pour « outrage public à la pudeur ».
Pendant longtemps, la répression avait été fondée sur l’idée qu’« il y aurait une forme de menace homosexuelle, d’individus prêts à corrompre la jeunesse », et la police avait pour consigne « d’arrêter et de contrôler spécifiquement les établissements homosexuels ou les lieux de rencontres et de drague en plein air », rappelle à l’AFP le sociologue et historien Antoine Idier, auteur de « Les alinéas au placard – L’abrogation du délit d’homosexualité ».
Cette répression, « je l’ai vécue, c’était extrêmement traumatisant », se souvient auprès de l’AFP Jean-Luc Romero-Michel, actuel adjoint à la maire de Paris chargé de la lutte contre les discriminations. Au début des années 1980, « j’avais 21 ou 22 ans, et c’était l’une des premières fois où j’allais en boîte de nuit », poursuit le sexagénaire.
« J’étais arrivé depuis dix minutes à peine quand toutes les lumières se sont allumées: descente de police! On vérifie vos papiers, on vous plaque contre les murs… Pour moi qui avais déjà du mal à assumer, c’était assez violent », raconte-t-il.
Une de ces incursions policières, dans le bar gay « Le Manhattan » à Paris, avait particulièrement fait parler d’elle en mai 1977: neuf hommes avaient été interpellés, puis poursuivis devant un tribunal, lors d’un procès très médiatisé, parce que leurs ébats dans ce lieu nocturne constituaient aux yeux de la loi un « outrage public à la pudeur ».
L’entrée du bar était pourtant filtrée, et « il n’y avait que des majeurs qui s’amusaient entre eux. C’était une provocation policière, due à l’homophobie politique au plus haut niveau », s’insurge auprès de l’AFP Michel Chomarat, 73 ans, l’un des neuf interpellés ce soir-là. Condamné à 500 francs d’amende pour ces faits, il contestera cette décision jusqu’en Cassation, sans succès.
Date charnière
Pour beaucoup d’hommes interpellés dans ces conditions, « les conséquences étaient bien plus graves qu’une simple amende », souligne le militant: « à l’époque les homos avaient des vies plus ou moins cachées, et là leur homosexualité éclatait au grand jour. Ca a pu conduire à des suicides ».
« C’est à partir de là que je suis devenu un activiste gay. Ca m’a révolté. C’est quelque chose qui est en moi et que je ne laisserai pas passer », affirme M. Chomarat, qui avec des dizaines de militants, élus et organisations, a signé en juin dans le magazine Têtu, un appel à l’État pour qu’il réhabilite, « voire indemnise » les « victimes de sa répression antigay ».
« Toute une génération de personnes LGBTQI+ (…) a vécu dans la peur, sous la menace de la loi homophobe », constituant une « épée de Damoclès« , souligne le texte de cette tribune.
Immédiatement après la dépénalisation, la communauté gay et lesbienne n’a cependant guère eu le temps de profiter d’une forme d’insouciance: « l’abrogation est arrivée alors qu’on était quasiment déjà dans le sujet d’après, le sida », souligne auprès de l’AFP Denis Quinqueton, co-directeur de l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean-Jaurès. Si bien que cette histoire reste peu connue des jeunes générations.
Pour les militants LGBT d’aujourd’hui qui s’intéressent à cette période, 1982 est néanmoins « une date charnière, qui a mis fin à une forme d’homophobie d’Etat », laquelle « légitimait » la haine ou les violences envers les homosexuels, souligne auprès de l’AFP l’ancien président de SOS Homophobie Joël Deumier.
Et c’est seulement après la dépénalisation qu’a pu s’ouvrir l’étape suivante: la conquête de l’égalité des droits, qui a mené plus tard au Pacs, au « mariage pour tous », puis à la PMA pour les couples de femmes.
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