[Article disponible dans Le Quotidien du jeudi 21 avril 2022] Incontournable. Dans un contexte de crise climatique, économique et diplomatique mondiale, les deux candidats ont déployé l’artillerie lourde pour capter un électorat inquiet pour son pouvoir d’achat. Marine Le Pen avait plus que quiconque misé sur cette thématique durant sa campagne.
Sentant le vent tourner fort autour des porte-monnaie depuis la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron a dû réajuster son programme avant d’en débattre, hier soir. Des mesures pour contenir le prix des carburants, aux pensions de retraite en passant par les minima sociaux, nous avons soumis les programmes des deux candidats contre la vie chère à l’expertise d’économistes locaux, Jean-Yves Rochoux, chercheur en économie associée au CEMOI à l’Université de La Réunion et Philippe Jean-Pierre, professeur des universités en sciences économiques à l’Université de La Réunion.
- Energie. La hausse du prix des carburants fut à l’origine de la crise des Gilets jaunes. Alors, pour éviter de nouveaux blocages de ronds-points, Marine Le Pen propose de « baisser la TVA de 20 à 5,5 % sur les produits énergétiques » et donc les carburants. Une mesure à 12 milliards d’euros inappropriée à notre économie insulaire, déplore Jean-Yves Rochoux « du fait de l’absence de TVA sur ces produits et en raison du mode spécifique de fixation du prix ». Selon lui, la mesure « est peu applicable ». De son côté, Emmanuel Macron dégaine son « bouclier énergétique sur le gaz et l’électricité » doublé d’une « ristourne de 18 centimes à la pompe ». Philippe Jean-Pierre estime que le dispositif présente l’avantage d’être « ciblé » dans le temps et pour les publics les plus vulnérables.
- Alimentation. Pour contenir la hausse des prix dans les rayons, la candidate RN table encore sur la TVA. Elle propose de la supprimer pour une centaine de produits de première nécessité. Cette mesure aurait vocation, dit-elle, à s’appliquer « tant que l’inflation sera supérieure d’un point à la croissance ». Elle serait qui plus est financée par une taxe sur les rachats d’actions. Une mesure à portée limitée localement, estime M. Rochoux, car le poids de la TVA est ici plus faible qu’en métropole sur ces produits de première nécessité.
En face, le président-candidat, lui, sortirait le carnet pour distribuer des « chèques alimentaires » aux plus modestes. M. Jean-Pierre salue le réalisme de la mesure ciblée sur les denrées nécessaires mais souligne néanmoins son coût très élevé : 25 milliards d’euros.
- RSA et prestations sociales. Ici le clivage est béant ! D’un côté, le président sortant entend instaurer la « solidarité à la source » et verser automatiquement le montant du RSA aux foyers éligibles qui n’en font pas la demande (environ 30 % des foyers éligibles). De quoi faire avaler la pilule du complément d’activité imposé ? À voir. Aussi pertinente soit-elle, la mesure sera délicate à mettre en œuvre localement, selon Jean-Yves Rochoux. Le public concerné est souvent difficile d’accès.
Coté Le Pen, retour aux sources frontistes. La candidate souhaite augmenter le plafond de l’Allocation de soutien familial (ASF) pour les familles monoparentales. Coût de la mesure : 15 milliards. Où les trouver ? En réservant les aides sociales aux seuls Français. Ce qui revient à exclure du dispositif les étrangers travaillant et cotisant. Une mesure « typique du RN », très clivante. La « priorité nationale » pour les prestations familiales se heurterait avec plusieurs conventions internationales sur les droits humains.
- Salaires. C’est l’autre versant pour atteindre le nirvana du pouvoir d’achat. Macron songe à baisser les charges pour les indépendants. Il entend aussi tripler « la prime Macron » versée aux salariés pour l’élever jusqu’à 6 000 euros par an, sans cotisations, ni impôts. Alléchante sur le papier la mesure reste une prime, volatile dans la durée. Le Pen envisage d’inciter les entreprises à augmenter de 10 % les salaires inférieurs à trois fois le montant du Smic en exonérant cette hausse de cotisations patronales. Appliquée aux bas salaires, estime M. Rochoux sans enthousiasme, « cette mesure pourrait déclencher des effets d’aubaine ».
- Fiscalité. Les deux candidats ont l’octroi de mer dans le viseur. Imprécise, Marine Le Pen propose de le supprimer sur les produits de première nécessité ; ce qui est déjà le cas ! Chez Macron, l’opération reste abstraite ; il s’agirait de revoir le logiciel dans son fonctionnement économique… Selon Philippe Jean-Pierre, la Région pourrait pâtir de la perte de cet outil fiscal, le seul dont La Réunion dispose avec la taxe foncière.
Par ailleurs, Marine Le Pen veut exonérer d’impôt sur le revenu les moins de 30 ans, quelles que soient leurs ressources. Il s’agirait ainsi d’améliorer leur niveau de vie et de stopper la fuite des cerveaux. « Cette exonération n’a d’intérêt que pour les jeunes actifs les plus aisés, souligne M. Rochoux. Et n’a donc pas beaucoup de sens ». Sa critique vaut aussi pour la mesure macroniste permettant aux couples en union libre de payer moins d’impôts en mutualisant leur déclaration, au même titre que les mariés et les pacsés.
Enfin, les duellistes proposent de supprimer la redevance télé (88 euros à La Réunion ; 138 euros en métropole). Marine Le Pen entend toutefois privatiser une grande partie du service public en contrepartie. Rien de tel chez Macron qui assure pouvoir encaisser la perte sèche (3,9 milliards d’euros).
- Pensions de retraite. Les deux candidats, en désaccord sur l’âge de départ à la retraite, s’accordent sur la revalorisation des pensions. Emmanuel Macron souhaite les porter à 1 100 euros par mois à taux plein contre 1 000 euros minimum pour Marine Le Pen. Elle y associerait un minimum vieillesse du même montant. Cette Allocation dite désormais de solidarité aux personnes âgées (Aspa) a été revalorisée de 100 euros au cours du quinquennat. En outre, Marine Le Pen a promis en premier d’indexer les pensions sur l’inflation. Une mesure déjà envisagée par la loi mais régulièrement gelée par le passé. Macron s’est aligné en ajoutant que cette hausse entrerait en vigueur dès le mois juillet, s’il devait être réélu. Jean-Yves Rochoux aurait préféré une indexation plus avantageuse sur les salaires.
- Héritage. Chez Macron, il est question de baisser l’impôt sur les successions. Cet impôt serait même supprimé pour les successions allant jusqu’à 150 euros par enfant. Chez Le Pen, l’exonération porterait sur les biens immobiliers de la succession à hauteur de 300000 euros. La candidate dit aussi vouloir encourager les donations effectuées de son vivant. Là encore, ces mesures ne concerneront pas les plus modestes de La Réunion.
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