Les cinéastes russes Anna Chichova-Bogolioubova et Dmitri Bogolioubov s’attendaient à être fichés à tout moment comme « agents » de l’étranger pour leur opposition au président Vladimir Poutine lorsqu’ils ont quitté précipitamment Moscou pour se réfugier en Israël au début de la guerre en Ukraine.
« On était les prochains sur la liste », confie le couple, rencontré dans l’appartement prêté par un ami à Rehovot, ville paisible à une vingtaine de kilomètres au sud de Tel-Aviv.
Etre sur cette liste signifie se voir contraint « à l’auto-censure ou à la prison à plus ou moins brève échéance », note Dmitri, 42 ans et auteur de « Town of Glory », un documentaire sur l’usage par Vladimir Poutine des références liées à la lutte contre l’Allemagne nazie pour asseoir son autorité dans les villages russes.
Moscou voit d’un mauvais oeil la collaboration de ces cinéastes avec des sociétés de production européennes, qui financent leurs documentaires dénonçant généralement la répression et la propagande du président Poutine, souligne le couple.
« Ces dernières années on se sentait menacés. Les derniers mois surtout, des types nous épiaient et prenaient des photos sur nos tournages », explique Anna, 36 ans. « Quand la guerre a commencé on a compris qu’on devait partir tout de suite », dit-elle.
Depuis le début, le 24 février, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, près de 24.000 Ukrainiens ont fui en Israël, selon le ministère de l’Immigration, plusieurs bénéficiant de la « loi du Retour », qui offre aux juifs, enfants ou petits-enfants de juifs, le droit d’obtenir la citoyenneté israélienne.
Mais à l’ombre de la guerre, des opposants russes ont aussi plié bagages pour Israël à l’instar d’Anna et de Dmitri, qui s’étaient procurés un passeport israélien ces dernières années tout en continuant à vivre en Russie.
Contre la guerre
Un responsable israélien traitant des questions d’immigration chiffre à environ 10.000 le nombre de Russes entrés en Israël depuis la guerre en Ukraine. « Ce sont en majorité des gens diplômés, urbains, appartenant à la classe moyenne », souligne ce responsable.
Olga Romanova, une linguiste âgée de 69 ans et originaire de Moscou, avait demandé son passeport israélien après l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Russie en 2014.
« Je pensais de toute façon rejoindre à un moment donné mes deux enfants installés en Israël, mais là j’ai compris que quelque chose n’allait plus en Russie », raconte-t-elle, entourée des portraits de ses petits-enfants dans le salon de son fils, près de Jérusalem.
Et au petit matin du 24 février, quand les chars Russes sont entrés en Ukraine, « c’était devenu une évidence que je devais partir le plus vite possible », confie-t-elle à l’AFP. « La guerre en Ukraine est incompatible avec ma manière de penser et mes valeurs morales. Ca me rend malade », soupire-t-elle, les yeux embués par l’émotion.
Rester ou repartir ?
Cette vague d’immigration, ukrainienne et russe, est la plus importante en Israël depuis le début des années 1990, période où des centaines de milliers de juifs avaient quitté l’ex-URSS pour refaire leur vie sur les rives de la Méditerranée.
« Ici on se sent en sécurité, on mange et on dort de nouveau normalement, ma fille de quatre ans qui est diabétique est complètement prise en charge. Mais on ne sait pas si on restera, ça dépendra de notre travail », explique Anna. « En ce moment, on veut juste vivre l’instant, nous remettre de nos émotions, après on verra ».
Sergueï, un violoniste qui a demandé à utiliser un nom d’emprunt par crainte de représailles, parti de Moscou avec son épouse, pianiste, et leurs trois jeunes enfants, explique qu’Israël pourrait n’être qu’une étape: « Je ne sais pas si on va rester ici. On partira probablement ailleurs ».
Car même s’ils ont la nationalité israélienne, l’Etat hébreu est encore largement une terra incognita pour les nouveaux arrivants et la nostalgie de la Russie n’est déjà là pas très loin.
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